Peur bleue.

C’était un dimanche de décembre, la bise soufflait sur la ville. Le froid avait conservé le corps, étendu comme une biche éventrée au milieu d’une forêt. Derek jeta sa cigarette et se pencha sur le drap blanc, en soufflant un tourbillon de fumée. 

« Heure du décès ?« , marmonna-t-il. 

Sans doute aux environs de 4 heures, le froid a accéléré le processus de rigidité cadavérique », répondit la légiste, qui peinait à écrire sur son bloc-note avec ses moufles. Moins d’une matinée s’était écoulée depuis. « C’est presque étonnant qu’on l’ait trouvé si rapidement », pensa le brigadier. C’est un chasseur parti à l’aube qui l’avait vu dans le fourré, son chien avait donné l’alerte, levant la patte et tendant la queue. La neige était déjà tombée. « Il en avait plein les yeux», avait balbutié l’homme. C’était la première fois qu’il voyait un corps. Alor était une ville calme, jamais de tapage, jamais de cambriolage, jamais de meurtre. Ses forêts et ses maisons en pierre formaient l’essence même de la quiétude. 

« Ramenez-le, et passez-moi le périmètre au peigne fin« , souffla le policier, la main dans la poche intérieure de son manteau élimé, les doigts à la recherche du paquet de cigarettes. Le lieutenant savait qu’il ne trouverait rien. La neige et son interminable renouveau blanc avait tout effacé. Le lieu était à l’abri des regards, et le corps se trouvait près d’un chemin caillouteux. C’était forcément un meurtre. Derek ne souffla mot de ses déductions à ses collègues, qui trouvaient qu’il allait toujours trop vite. Mais l’homme était jeune, à peine la quarantaine, l’arrêt cardiaque était exclu. Le sol était plat, ce qui permettait d’écarter sans trop de risque la mauvaise chute. La personne qui avait amené le corps l’avait sans doute transporté en voiture jusque là.

« Coup derrière la tête, objet cylindrique. Barre en acier???« , envoya par SMS quelques heures plus tard la légiste, sans plus de commentaire. Elle savait que Derek aimait aller à l’essentiel. Il fourra son téléphone dans sa poche et avança en direction de la rue principale. Il avait déjeuné au bar-brasserie du coin, où la nouvelle avait déjà commencé à se répandre. Le maire l’avait appelé, une habitante de la commune venait de signaler la disparition de son mari.

Stella Dartaud était une femme mince, aux cheveux courts. Elle portait un jean et une veste polaire à carreaux. Ses yeux oscillaient du maire au policier sans réussir à s’accrocher à l’un d’eux. David, son mari était parti la veille pour prendre son poste dans la banque où il travaillait et il n’était pas rentré. Non, elle ne s’était pas inquiétée, il lui arrivait de prendre un verre avec ses collègues en fin de journée. Elle avait eu mal à la tête et était partie se coucher tôt, expliqua-t-elle au milieu du salon impeccablement rangé. La lumière du jour traversait les rideaux rouges pour mourir sur la cheminée en marbre, où crépitait un feu chaleureux. Des bûches menaçaient de s’échapper. Derek reposa le cadre sur la table où il l’avait trouvé. Le cadavre et le mari de Stella Dartaud ne faisaient qu’un. 

Elle glissa que son mari avait eu des ennuis l’an dernier avec un homme du village voisin. Ce dernier avait perdu son commerce dans un incendie mais n’avait pas souscrit d’assurance. La banque dans laquelle travaillait son mari n’avait pas voulu l’aider. Elle ne connaissait pas son nom, mais l’avait vu jeter une brique à travers la vitre du salon l’automne dernier. 

« Jamais vu », grommela Pierre Chevalier devant le cliché que brandissait Derek. Il était assis sur le siège de son pick-up, et s’apprêtait à partir. « Juste quelques jours chez ma soeur », lança-t-il au policier, en haussant un sourcil. Après avoir été cuisiné par le lieutenant, il finit par admettre que l’homme sur la photo était celui à qui il avait eu affaire après l’incendie de sa boucherie. Oui, il l’avait menacé, non il ne l’avait pas tué. « J’économise, je vais rouvrir ma boutique », siffla-t-il, avant de se terrer dans le silence. 

Derek retourna à la maison de Stella Dartaud pour lui demander de passer identifier Pierre Chevalier. C’est elle qui ouvrit la porte. L’un des boutons de sa chemise était ouvert et Derek aperçut une tâche bleutée sur sa peau pâle. Elle essaya de la cacher lorsqu’elle surprit son trouble. Les cendres des bûches qui menaçaient de s’écrouler quelques heures plus tôt s’étaient répandues sur le sol. « Madame Dartaud, murmura Derek, les yeux fixés sur un crochet vide, où est votre tisonnier ? »

N’hésitez-pas à me donner votre avis sur cette nouvelle que j’ai écrite !

4 commentaires

  1. J’ai été tout de suite plongée dans l’histoire grâce au décor et à l’ambiance rapidement installés. Les personnages me paraissent bien ancrés dans le réel, c’était facile de les imaginer ! Hâte de lire d’autres textes de toi 🙂

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