Dimitri Rouchon-Borie est journaliste en presse locale. Il a publié un premier roman remarqué, baptisé Le Démon de la colline aux loups. L’un des textes les plus particuliers que j’ai pu lire ces dernières années. Il a également publié Ritournelles quelques mois plus tard. Dans les deux cas, ces romans s’inspirent des moments passés sur les bancs des tribunaux, qu’il fréquente dans le cadre de son travail. D’écriture journalistique à récit de fiction, il raconte.

Depuis combien de temps écris-tu de la fiction ?
Je crois que j’écris depuis toujours. Je me suis souvenu il y a peu que j’avais découvert l’écriture à l’école primaire, grâce à un instituteur qui nous avait embarqués dans un projet théâtre. Mes premiers écrits, ce sont donc des dialogues, et plutôt dans un registre comique. Après, j’ai écrit des bribes de choses, mais sans jamais rien conserver.
Comment passe-t-on de l’envie d’écrire à la phase d’écriture ?
C’est assez étonnant, mais je n’ai jamais eu envie d’écrire. J’écris dans mon métier de journaliste et j’ai longtemps été convaincu que je n’étais absolument pas fait pour la fiction et le roman. Au bout de quelques pages, j’avais à chaque fois envie de passer à autre chose. J’ai été encouragé par un ami, qui me disait d’insister quand même.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de passer d’articles journalistiques à des textes de fiction ?
Chez moi, l’écriture de fiction est née d’une contrainte forte, liée à mon métier de journaliste judiciaire. L’accumulation de trop d’émotions, de trop d’histoires. Le Démon de la Colline au Loups, c’est un peu comme ouvrir les portes d’une écluse et voir débarquer un tsunami. Il y a un lien très fort entre l’écriture et le besoin d’aller au-delà de la réalité, peut être parce qu’elle est devenue insupportable à un moment. Et pour aller à la rencontre de tout ce que j’avais accumulé, il fallait une langue, un texte différent.
Considères-tu que ton écriture journalistique est différente de celle de tes romans ?
Dans l’écriture journalistique, on doit veiller à ce que le style ne nuise pas à la précision, à la description des faits, à la compréhension (factuelle donc). Et surtout, on est tenu par des contraintes formelles. Le journalisme, c’est le domaine de l’information. La chronique judiciaire, c’est déjà un espace journalistique à part, puisqu’il autorise le ressenti, et permet de nourrir déjà un projet d’écriture un peu singulier. Parce que raconter des procès dans un registre strictement factuel… au bout d’une dizaine, déjà, ça deviendrait lassant et insensé. On tient dans ce domaine parce qu’on cherche du sens, je crois ! On va sans cesse à la rencontre de l’être humain en passant par ses failles, le plus respectueusement possible. Mais au bout d’un moment, la fiction m’est devenue essentielle pour aller encore plus fort dans cette voie.
Comment as-tu fait pour écrire, non pas à partir de faits réels mais de ton imagination ? Est-ce que tu as eu à gérer un sentiment d’illégitimité ou des doutes ?
Il y a toujours du réel dans la fiction, et souvent, au tribunal, l’inverse est vrai aussi. On assiste souvent à des procès en se disant : ça ne peut pas être vrai. Mais peut-être que quand on écrit, on est dans une sorte de digestion accélérée de toutes les sensations, les émotions, les pensées qui nous ont traversées. J’ai du mal à en parler, parce que quand j’écris, je ne calcule rien. Je ne prévois rien. Je me mets au travail, et je découvre ce qui vient.
La légitimité se pose peut-être tout le temps, mais tout autant dans le journalisme : on raconte la vraie vie de vraies personnes. Cela oblige à la pudeur autant qu’à la justesse. Dans la fiction, c’est pareil, peut-être : la limite, c’est celle de la surenchère gratuite. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la violence ou de le fait de faire frémir. C’est de raconter, sincèrement, une histoire, sans éluder, sans exagérer.
Pourquoi écris-tu ?
Alors ça… je fais beaucoup de photo, et de la musique aussi. Cela me tient. Comme l’écriture, je crois que ce sont des outils pour explorer, comprendre et accepter le monde qui nous entoure. En dénicher parfois la beauté, la simplicité harmonieuse, la profondeur. Quand on commence à être confronté à des choses dures, essentielles, dérangeantes, si on n’écrit pas, je ne sais pas comment on tient le coup.
As-tu un rituel d’écriture ?
J’écris quand je peux… donc non. Mais j’adore écrire au restaurant le midi.
Comment est née l’idée de ton premier roman ?
C’était juste une intuition au départ : aller à la rencontre d’un enfant, à la vie difficile, au tout tout début de sa vie.
A quel point as-tu emprunté des éléments du réél pour Le Démon de la colline aux loups ? Comment trouves-tu ton inspiration ?
Le livre est traversé de souvenirs, de visages, de silences. Ce qui est compliqué à admettre, peut-être, pour des lecteurs qui seraient très éloignés de ces problématiques, c’est que les faits décrits dans le Démon de la colline aux loups sont malheureusement assez ordinaires. Il y a même bien pire, y compris dans l’enchaînement de coups du sorts, et d’actes sordides. Mais ce n’est pas un roman réaliste. C’est la confession fantomatique d’un homme qui livre là son combat intérieur. Donc le réel est remâché dans l’énergie de cette lutte, et livré dans ce récit avec une autre fonction que celle de la description.
Est-ce que la phase d’écriture a plutôt été des séances au fil de ton inspiration ou t’es-tu imposé un rythme ?
À partir du moment où j’ai posé les premiers mots dans cette langue étonnante, je n’ai pas pu arrêter d’écrire. C’est pour cela que ce livre a été écrit très vite. Comme un cri, une fulgurance.
Comment s’est déroulée la publication de ton premier texte ?
Ce qui est beau avec un livre, c’est que c’est une oeuvre collective, entre l’auteur, l’éditeur et son équipe, pour Le Démon de la Colline aux Loups, Clara qui a réalisé l’oeuvre de la couverture, puis les représentants, les libraires. J’ai découvert ça, vraiment et c’est très émouvant en fait. Je me souviens moins des étapes de la publication que de la force des rencontres que le manuscrit m’a offertes.